Le compte à rebours de l’après-Ben Ali a-t-il commencé ? Cette question brûle les lèvres de nombreux observateurs qui suivent les événements qui secouent la Tunisie depuis un mois. S’il est extrêmement difficile de parier sur une chute immédiate du régime de Ben Ali, les Tunisiens ne jurent en tout cas que par son départ. Un couvre-feu nocturne est décrété dans la capitale et sa banlieue. La contestation est à son apogée.
Acculé, le président Zine El Abidine Ben Ali (74 ans) a limogé, hier, son ministre de l’Intérieur, Rafik Hadj Kacem, et a décidé de libérer tous les détenus depuis le début des émeutes sociales qui secouent le pays, dans une tentative de stopper la colère du peuple.
Dans le même temps, les forces armées contrôlent la capitale. Selon le journaliste tunisien, Jalal Zoughlami, joint par téléphone, «des renforts militaires, soldats en armes, camions et blindés ont fait leur apparition dans la capitale dans la nuit de mardi à mercredi. Des unités de l’armée sont postées sur les grands carrefours de Tunis, d’autres surveillent le siège du Parlement et les bâtiments de la Radio et de la Télévision publique. Des blindés sont aussi stationnés pas loin du palais présidentiel. Les rues sont désertes, la circulation est très faible». «Il règne comme un climat de siège et de peur dans la capitale.»
Alors que la révolte sociale jusque-là contenue dans les villes du sud-ouest du pays, la colère «des oubliés de la République» gagne en intensité et se rapproche des allées du pouvoir. Des informations font état du limogeage également du chef d’état-major de l’armée de terre, le général Rachid Ammar.
Il aurait refusé de donner l’ordre aux soldats de réprimer les émeutes et exprimé des réserves sur un usage excessif de la force. Selon l’avocat et militant des droits de l’homme, Me Raouf Ayadi, contacté par téléphone, a décrété une situation «ouverte sur toutes les éventualités, maintenant que les évènements sont arrivés à la capitale. Les affrontements se poursuivent aujourd’hui (mercredi, ndlr) dans les quartiers populaires de la ville, à Rades, les cités Ettadhamen, Intilaka et El Mnihla et dans les quartiers populaires de l’ouest de la capitale où des camions de l’armée sont stationnés. Les agents de la police politique ont sommé les commerçants de baisser les rideaux de leurs boutiques et magasins». Si l’armée est appelée à la rescousse, «il n’est pas évident qu’elle tire sur la foule, les soldats, eux aussi, sont issus des régions les plus pauvres du pays. Des officiers peuvent s’opposer à implication de l’armée dans la répression directe des manifestants», a indiqué l’avocat.
Quant aux «mesures» prises par le président Ben Ali, Me Ayadi a estimé que «le limogeage du ministre de l’Intérieur ne va rien changer à la situation. Le ministre de l’Intérieur n’est qu’un exécutant des ordres venus de la Présidence. La plaie est profonde et les manifestants ne jurent que par la tête du Ben Ali. Ce dernier tente des manœuvres désespérantes, il est trop tard. Des jeunes Tunisiens sont tués par des snippers, pas question de faire machine arrière», a ajouté l’avocat.
L’opposant Hamma Hammami arrêté
Et si le Président a donné ordre de libérer tous les détenus, son pouvoir s’attaque aux dirigeants de l’opposition. Ainsi, le chef du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT, interdit), Hamma Hammami, a été interpellé, hier à son domicile, près de Tunis, a annoncé à l’AFP son épouse Radia Nasraoui. «La police a débarqué et arrêté Hamma», selon Me Radia Nasraoui. «Plusieurs policiers ont forcé la porte de notre appartement, perquisitionné et cassé, avant de prendre Hamma sous les yeux de sa fille», a-t-elle raconté. Hamma Hammami (59 ans) est le dirigeant d’un parti «illégal» d’extrême gauche, autrefois très présent à l’université. Recherché par la police, il vivait dans la clandestinité jusqu’à récemment.
Durant les événements, il est intervenu plusieurs fois sur des télévisions étrangères pour dénoncer le régime du président Ben Ali.
Une preuve que Ben Ali ne cherche pas l’apaisement, mais plutôt le contraire.
La réplique lui a été donnée et s’est faite sentir à travers beaucoup de villes. La répression brutale n’a pas entamé la détermination des Tunisiens à faire tomber celui qui dirige le pays d’une main de fer depuis 1987.
Des marches étaient organisées hier à Sfax, Bizerte, Sidi Bouzid, Kasserine et Thala.
«Les manifestants demandent le départ du président», nous a informé l’avocate, Mounia Bou Alia, qui se trouve dans la ville de Thala. Jointe par téléphone, elle a dépeint «un climat des plus inquiétants» dans cette ville qui a connu de violents affrontements depuis trois semaines. «La situation sécuritaire a franchi un cap très dangereux. Les services de sécurité nous infligent une répression sans égale. Durant la nuit de mardi à mercredi, la police a investi des maisons et a procédé à des arrestations massives.
Plus grave encore, une femme a été violée par un policier devant son mari. Aujourd’hui, il ne s’agit plus du pain ou du travail, mais de la dignité du peuple tunisien qui est violée. Une grande manifestation a été organisée contre la répression brutale de la police, mais les forces de l’ordre ont fait usage de bombes lacrymogènes et ont tiré avec des balles réelles contre des manifestants. Un jeune a été tué.» L’avocate a estimé que le départ du ministre de l’Intérieur «n’est qu’une manœuvre du Président. Le problème de la Tunisie, c’est Ben Ali, c’est lui qui a donné l’ordre de tirer sur la foule».
En somme, la Tunisie est en train de vivre un tournant historique. Le conflit entre le peuple et le pouvoir a atteint un point de non-retour.
Le mouvement de contestation est en passe de créer un rapport de forces en sa faveur, il semble plus fort que le régime.