Tensions sociales inévitables sans démocratisation et intégration
Par le Dr Abderrahmane MEBTOUL
Les évènement en Tunisie auront des conséquences géo stratégiques sur tout l’espace de l’Afrique du Nord d’une manière particulière et sur les pays arabes d’une manière générale, du moins les pays à fortes populations et pas à court terme sur les micro États du Moyen orient avec des revenus en hydrocarbures trois supérieurs à ceux de l’Algérie pour une population moindre que la wilaya d’Alger.
C’est dans ce contexte qu’il serait hasardeux pour les régimes du Maghreb de considérer leur population sous l’angle strictement de tubes digestifs, des louanges de certains organismes internationaux qui d ‘ailleurs reprennent souvent à la lettre des données statistiques préfabriqués des officiels déconnectés des réalités économiques et sociales.
Le développement des espaces de libertés, la démocratisation des décisions conditionnent largement la lutte contre la corruption qui prend des proportions alarmantes au Maghreb avec une concentration du revenu national au profit d’une minorité rentière, un monopole privé mafieux qui se substitue au monopole public du passé source de rentes, influant sur la détérioration du pouvoir d’achat de la majorité. Au moment de ces évènements de la Tunisie , il me semble utile de donner un aperçu de la situation et des perspectives des économies maghrébines .
1- Situation du Maghreb
Le Maghreb correspond à l’Afrique du Nord-Ouest, délimitée au Nord par la Méditerranée et au Sud par le Sahara. La superficie totale de l’UMA est de 5.8 millions km2 représentant 4,3 % de la superficie mondiale et dépassant de près de 80 % la superficie de l’Union européenne.
Durant les cinquante dernières années, la population des pays de l’UMA a augmenté à un taux d’accroissement moyen de 3,2 % par an passant de moins de 30 millions en 1960 à 60 millions en 1989 et environ 90 millions en 2010 et les prévisions des Nations Unies l’estime à 150 millions d’habitants à l’horizon 2050, encore qu’au cours des deux dernières décennies, les femmes du Maghreb ont vu leur fécondité chuter considérablement. Cette baisse de la fécondité a surpris par sa rapidité nombre de spécialistes des problèmes de population.
Si le poids démographique de l’UMA est en légère augmentation, son poids économique est en régression. L’UMA a perdu plus de la moitié de son poids économique dans le monde entre 1980 et 2010, ses exportations qui représentaient environ 2% des exportations mondiales en 1980, représentent moins de 0,50% en 2010. Et cela n’est pas propre au Maghreb puisque la part de l’Afrique dans le commerce international représentait 12 % il y a 20 ans, étant passée à 8 % dans les années 90 et actuellement, elle atteint à peine 2 %.
Cette région est frappée actuellement par une récession économique avec un écart croissant, les pays de l’UMA ayant un revenu PNB par tête qui représente moins de 15 % de ceux de la CEE. Cette récession s’explique par différents facteurs dont le manque d’homogénéisation économique pour des raisons essentiellement politiques qui fait fuir les capitaux vers d’autres cieux plus propices à un moment où la concentration des échanges est dans le Nord, la Chine accaparant plus de 5O% pour la zone Sud. Mais la raison essentielle est le retard pris dans les réformes micro-économiques et institutionnelles biens que certains pays du Maghreb aient réussi la stabilisation du cadre macro-économique.
Cette situation s’explique également outre les données politiques, par l’extension de la sphère informelle résultante du poids de la bureaucratie centrale et locale et qu’au lieu que l’intégration soit dominée par des économies contractuelles ou organisées, nous assistons à une dynamique informelle caractérisée par une identité culturelle qui permet à des milliers de maghrébins de contourner la myopie des bureaucraties nationales.
2-Un produit intérieur global loin des potentialités
Pour la région du Maghreb (Algérie, Tunisie, Maroc, Libye et Mauritanie), le FMI prévoit dans son rapport d’octobre 2010 sur les deux années 2010 et 2011, une moyenne de taux de croissance de +5 % en 2010 et de +4,6 % en 2011 contre +2,4 % en 2009 et ce bien entendu sous réserve d’une reprise de l’économie mondiale.
En ce qui concerne les réalisations, pour 2009, le Maroc arrive en tête du Maghreb pour les indicateurs de performance économique, selon un rapport de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (UNECA) du 18 mai 2010 avec une croissance du PIB de 5,3% , l’Egypte (4,7%), la Tunisie (3%), la Mauritanie (2,3%), l’Algérie (2,1%) et la Libye (1,8%). L’étude intitulée « ERA 2010 » souligne que le PIB régional est passé de 4,1 pour cent en 2008 à 3,5 pour cent en 2009 et que « les perspectives africaines de croissance à long terme, de création d’emplois soutenue et de développement social dépendront de l’étendue de la diversification économique en fait de l’intégration économique de l’Afrique du Nord ».
Le total du PIB du Maghreb en moyenne 2008/2009 est de 380 milliards de dollars, montant dérisoire comparé à un petit pays comme la Corée du Sud dont le PIB a dépassé 1100 milliards de dollars . Le PIB du Maghreb représente environ 80% du PIB de la Belgique dont la population ne dépasse pas 10 millions d’habitants ou le PIB du Japon de plus de 4900 milliards de dollars pour une population un peu supérieure à celle du Maghreb de 127 millions d’habitants, sans compter le PIB des USA de 14545 milliards de dollars ou celui d e la communauté économique européenne de 18285 milliards de dollars. Pour 2008 l’Algérie a exporté pour 78,23 milliards de dollars dont 98% d’hydrocarbures et les importations de 39,16 milliards de dollars avec le montant presque équivalent pour 2009 ((baisse de 0,95% par rapport à 2008), le Maroc les exportations ont atteint 20,60 milliards de dollars et 23,23 pour les importations et la Tunisie exportation de 19,22 milliards de dollars et importation de 23,23.
Quant à la destination, l’Algérie exporte sur le marché européen environ 62% et importe environ 60%, le Maroc exporte également 60% de ses échanges avec l’Europe, tandis que la Tunisie le taux atteint 78% et le Maroc Tunisie importent plus de 72% à partir de ce même marché.
Cette relation commerciales de l’Europe avec le Maghreb, selon le réseau Anima a été renforcé durant la crise d’octobre 2008 dans le retour des investisseurs européens dans la région. Après avoir été supplanté en 2006 -2007 par les pays du Golfe qui investissaient surtout dans le tourisme les banques et l’immobilier ( la crise de Dubai en est un exemple), ces derniers sont en retrait en raison de la crise de liquidité( on estime plusieurs centaines de milliards de dollars les pertes au niveau des places financières internationales) , l’Europe a récupéré, en 2009, sa position en devenant le premier investisseur au Maghreb, avec des engagements en croissance de 24 % en glissement annuel. Cependant le Maghreb suscite de plus en plus l’intérêt d’autres acteurs dont les Etats-Unis à travers l’initiative Eizenstat sans oublier la Chine.
3- Le Maghreb et le cout de la non intégration
Le Maroc devient la première destination des investisseurs étrangers au Maghreb, avec des flux nets d’IDE de 3,3 milliards d’euros en 2009, contre 2 milliards en 2009 Quant à L’Algérie qui a adopté au cours des deux dernières années des mesures contraignantes pour les investisseurs étrangers, en optant notamment à l’obligation de s’associer à un partenaire algérien à hauteur de 51 % du capital au moins, malgré ce durcissement des conditions d’accueil des IDE, les capitaux étrangers investis dans ce pays ont atteint 2,5 milliards d’euros l’an passé, contre 1,5 milliard en 2008 mais avec des projets surtout concentrés au niveau des hydrocarbures, les segments hors hydrocarbures ayant fortement chutés à plus de 70%.
Pour la Lybie , le volume total des investissements étrangers annoncés en 2009 au pays a chuté de 49 % sur un an, pour s’établir à 1,6 milliard d’euros.
Pour la Tunisie avec 1,3 milliard d’euros d’entrées de capitaux étrangers, la baisse a été de 34%. Cependant le Maghreb relativement a mieux résisté aux effets de la crise d’octobre 2008.
Le rapport intitulé Investissements directs étrangers et partenariats dans les pays méditerranéens en 2009, révèle que les quatre pays maghrébins étudiés (Algérie, Libye, Maroc, Tunisie) ont attiré 8,7 milliards d’euros d’investissements directs étrangers (IDE) en 2009 soit une progression de 5% par rapport à 2008.
En nombre de projets annoncés, la région repasse au-dessus de la barre des 200 projets (219), contre 198 seulement en 2008. Selon les données de la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), le Maghreb s’avère ainsi l’une des régions qui ont résisté le mieux à la crise économique, puisque les IDE ont chuté en moyenne de 17% dans le bassin méditerranéen et de 35% à l’échelle mondiale.
L’observatoire Anima note, toutefois, que la situation des pays du Maghreb n’est pas identique. Le volume global des échanges entre les Etats membres du Maghreb est très faible, ne dépassant pas 3 pour cent moyenne 2008/2009, celui entre les pays arabes 6% et le commerce intra africain ne dépassant pas 10% dont pour l’Algérie 1% de ses échanges.
Aussi entre les discours et la réalité existe un large fossé Une étude réalisée par le Secrétariat de l’Union du Maghreb Arabe ( UMA) courant 2009 a montré que l’intégration économique dans la région lui ferait gagner 5 milliards de $ en investissement dont 3 en IDE/an et un nombre important d’emplois dans une zone où il y a trois (3) millions de chômeurs qui constituent 12% des actifs, ce qui correspondrait en matière d’échanges aux transactions conclues entre 2000 à 3000 PME maghrébines par an.
L’augmentation des exportations pour les produits agricoles pourrait atteindre les 45%, ce qui correspondrait à 170 millions de $, ce qui représente près de 1% du PIB net agricole du Maghreb arabe. Quant au secteur électrique, il pourrait économiser près de 25% de sa production si les centrales électriques maghrébines sont intégrées. Et à supposer que la capacité de production pour les 20 prochaines années doit passer à 26 gigawatts, l’intégration permettrait d’en économiser 6,6 gigawatt. En réalité l’impact négatif de la non intégration est plus important si l’on tient compte des effets cumulatifs dus aux économies d’échelle et surtout le peu d’attrait des investisseurs potentiels intéressés par de grands marchés.
Aussi, la dynamisation des relations entre les pays du Maghreb ne sera possible que si les dirigeants ont une vision commune du devenir commun de leur population , la région pouvant devenir une région économique pivot, intégrant l’émigration ciment de l’inter culturalité et des échanges , pouvant être un sous segment de la dynamisation du continent Afrique enjeu du XXIème siècle qui habitera horizon 2025 plus de 1,5 milliard d’âmes dont son intégration selon une vision pragmatique et progressive est un défi majeur qui permettrait d’éviter ces images désolantes de jeunes fuyant tant le Maghreb que le continent Afrique à partir d’embarcations de fortune .
Ce sera une condition sine qua non, afin de peser dans les grandes décisions internationales, les micros Etats en ce XXIème siècle n’ayant que peu d’impacts. Pour éviter sa marginalisation , le Maghreb doit tripler son produit intérieur brut entre 2015/2020 pour un PIB global d’au moins 1.000 milliards de dollars à prix constants 2010. Cela est possible pour peu que la volonté politique existe d’aller vers un Etat de droit, une gouvernance rénovée, la revalorisation du savoir loin des rentes, le mal étant avant tout en nous et les solutions existantes à notre portée.
Cela passe également par des politiques, des réformes institutionnelles et micro-économiques, la stabilisation macro-économique étant éphémère sans réformes de structures.
4- La démocratisation nécessaire au Maghreb
Les gouvernements au Maghreb doivent à tout prix éviter d’avoir un mépris pour leurs peuple et notamment leur jeunesse, comme cette banalisation des harragas ces jeunes quia achètent la mort, mais attention les harragas ne touchent pas seulement les défavorisés, les enfants des dirigeants qui donnent d’ailleurs de fausses leçons , ou d ‘une certaine couche riche, installés à l’ étranger par leurs propres parents pour gérer leurs affaires, sont eux mêmes des harragas dorés qui n’ont pas risqués leurs vies. Mais également les jeunes filles du Maghreb qui ont connu un succès plus important à l’école et dont la frustration se manifeste sous d’autres formes. Il serait malsain pour les régimes du Maghreb de considérer leur peuple comme un peuple mineur la jeunesse maghrébine étant capable de miracles comme le montre l’expérience tunisienne , pour peu que les gouvernants lui tiennent un discours de vérité grâce à une nouvelle communication, une gouvernance rénovée, la valorisation du savoir et de l’intelligence et une réorientation d e leur politique socio-économique conciliant l’efficacité économique et une profonde justice sociale ce qui suppose des réaménagement dans les structures du pouvoir car l’économie est avant tout politique.
La vision dictatoriale des choix est dépassée étant à l’ère de la mondialisation et d’Internet ( on a pu parler pour la Tunisie du renversement de l’ex président par Internet) comme le montrent, avec des régimes différents, la réussite des pays émergents qui construisent une économie de marché concurrentielle maitrisée, le monopole public ou privé étant néfaste, et ce grâce au rôle stratégique de l’Etat régulateur, l’économie de marché ne signifiant pas anarchie, tout monopole qu’il soit public ou privé étant néfaste à l’économie.
L’important est le développement des espaces de libertés de la société civile, de nouveaux réseaux crédibles, la sécurité d’un pays étant l’affaire de tous. Il est de plus en plus nécessaire de moraliser les institutions et les pratiques par la démocratisation des décisions. La concertation et dialogue permanent deviennent urgents entre les véritables forces vives du Maghreb et non des organisations fonctionnarisées, aux ordres, figées incapables de mobiliser, vivant grâce au transfert de la rente et non sur les cotisations de leurs adhérents, (vivant plus à aux télévisions officielles ou par des interviews dans des bureaux feutrés). Pour le cas de l’Algérie, en panne d’imagination, il est faux de parler d’un chahut de gamins (c’est un lourd avertissement), d’assimiler les Algériens à des tubes digestifs de s’appesantir uniquement sur l’huile et le sucre, la jeunesse ayant exprimé d’autres aspirations.
Une transition démocratique pacifique est urgente, les dernières mesures gouvernementales depuis la loi de finances complémentaire 2009 ayant montré leur inefficacité, si l’on veut éviter d’accentuer le divorce Etat/citoyens, les dernies évènements ayant montré l’inefficacité des réseaux officiels.
Attention au syndrome tunisien comme le montre récemment l’immolation par le feu le 14 janvier 2011 de deux jeunes adolescents, nos garçons, l’un à Jijel, l’autre à Tébessa.
Pour terminer restons optimiste, en espérant une transition démocratique réussie en Tunisie. Pour sa part, le Maghreb a toutes les potentialités pour surmonter cette crise et être un acteur actif au sein du bassin méditerranéen et surtout son destin futur doit être de l’Afrique. Mais sans intégration, les tensions sociales à toute la région à moyen terme seront inévitables. Les régimes maghrébins doivent dépasser leur vision étroite.
A.M
NB- Pour plus de développement de l’auteur voir -Abderrahmane MEBTOUL -Intervention de Abderrahmane Mebtoul au siège de l’Unesco ( Paris France 1994) à l’occasion de la fondation de l’Association Europe Afrique « la place du Maghreb dans la stratégie euro méditerranéenne » reproduit lors d’une conférence devant les ambassadeurs accrédités à Alger , édition revue Ministère des Affaires étrangères Algérie volume IV premier semestre 1995-Contribution versée au forum de Paris à l’occasion de la création de Union pour la Méditerranée qui s’est tenu au siège Unesco France du 28/31 mars 2008 en présence de personnalités internationales des deux rives de la méditerranée ( ronéotypé site UPM). « Les relations Europe/Maghreb, pour une prospérité partagée ». « Le développement de l’Afrique :un enjeu majeur » , rencontre internationale du Council on Foundations Steve Gunderson consacrée à l’Afrique qui s’est tenu du 26 au 30 mai 2008 à New York (USA) rencontre qui a traité du développement humain à travers les sommets sur l’OMD ( Objectif du Millenium pour le développement.