Les dirigeants du monde arabe qui voient les foules tunisiennes obtenir des concessions de taille d’un homme fort en place depuis longtemps se demandent s’ils ne vont pas devoir à leur tour changer leur manière autocratique de diriger leur pays.
Il est peu probable que les violences en Tunisie s’étendent prochainement à d’autres capitales, de Rabat à Ryad, et fassent tomber des régimes autocratiques, cela principalement parce que les mouvements d’opposition sont fragilisés et démoralisés.
Nul ne pense que la Tunisie sera le premier d’une série de dominos à tomber, phénomène qui emporta les régimes des pays du Pacte de Varsovie l’un après l’autre en 1989.
Certains, dans le même temps, se demandent combien de temps les impopulaires dirigeants du monde arabe, des monarques absolus aux révolutionnaires âgés s’accrochant au pouvoir, pourront encore compter sur les vieilles méthodes de répression pour se maintenir en place.
Les émeutes sans précédent qui ébranlent la Tunisie depuis décembre sont suivies de près via internet et les chaînes de télévision satellitaires dans l’ensemble du monde arabe, où le chômage endémique, l’inflation galopante et le creusement des inégalités sont autant de facteurs potentiels de déstabilisation.
“Cela pourrait arriver n’importe où”, estimait Imane, un propriétaire de restaurant égyptien, qui a refusé de décliner son identité complète. “Avec les images par satellite et par internet que nous pouvons voir aujourd’hui, des gens qui normalement resteraient soumis peuvent voir des foules obtenir ce qu’elles réclament”, ajoute-t-il.
“Nous ne sommes pas habitués à cela dans cette partie du monde”, déclare pour sa part Kamal Mohsen, un étudiant libanais de 23 ans. “C’est plus qu’un rêve, dans une région où les gens continuent de répéter ‘mais que peut-on faire?’”
“Les jeunes gens de l’ensemble du monde arabe devraient descendre dans la rue et faire pareil (qu’en Tunisie). Il est temps que nous fassions valoir nos droits”, ajoute-t-il.
“Les dirigeants arabes feraient mieux de s’inquiéter, parce qu’ils n’ont rien à offrir d’autre à leurs peuples que la peur et quand les Tunisiens gagneront, la peur tombera, et ce qui se passe en ce moment sera contagieux. Ce n’est qu’une question de temps”, dit-il.
LE RÔLE D’INTERNET ET DE TWITTER
Au cours des dernières décennies, la démocratie a supplanté le despotisme dans des régions naguère dirigées par des dictateurs. Mais les pays arabes, eux, ont presque tous des régimes autocratiques et policiers.
Certains n’en pensent pas moins que les concessions arrachées au président tunisien Zine al Abidine ben Ali, au pouvoir depuis 1987, de même que les efforts des autorités algériennes pour apaiser la population au sujet des hausses de prix, ont eu raison du principe de peur qui permettait de juguler le mécontentement ambiant dans la région.
“Peut-être que tous les gouvernements arabes suivent les yeux grands ouverts ce qui se passe en Tunisie et en Algérie”, estime l’éditorialiste Abdelrahman al Rached, du journal Achark al Aoussat.
“Une bonne partie de ce qui empêche les manifestations et la désobéissance civile, c’est tout bonnement la barrière psychologique”, dit-il. “Le président tunisien a promis tout ce qu’il pouvait pour empêcher les troubles et l’Algérie est revenue sur les hausses de prix, mais la barrière psychologique, elle, a volé en éclats.”
La décision du pouvoir tunisien d’avancer la date des élections législatives dans l’espoir de faire retomber la tension est un avertissement aux dirigeants arabes qui gouvernent toujours d’une main de fer en contrôlant étroitement les médias.
Certains analystes font valoir qu’internet a le pouvoir de fédérer des revendications disparates en une campagne politique cohérente, et ils invoquent à l’appui de leur raisonnement l’activisme des internautes en Iran, qui a fait descendre des millions de personnes dans la rue après la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad en juin 2009.
Les défenseurs des droits de l’homme tunisiens déclarent que le gouvernement bloque l’accès à une bonne partie d’internet, ce qui n’empêche pas les activistes de télécharger sur le web des vidéos de manifestants grièvement blessés, provoquant la colère de la population et dynamisant le mouvement de protestation.
“Tout aurait été différent sans Facebook et Twitter et d’autres nouveaux médias”, estime Ahmed Mansoor, défenseur des droits de l’homme et blogueur aux Emirats arabes unis. “Cela a joué un rôle essentiel en faisant connaître au monde ce qui se passe.”
Reuters